Ecrit par :
Wolters Kluwer


9 mars 2020

Les revenus acquis par une société sont, en matière de fiscalité, toujours considérés comme des revenus professionnels. On pourrait s'attendre à ce que d'un point de vue fiscal, les frais supportés par une société soient eux aussi logiquement toujours considérés comme des frais professionnels. Mais fiscalité ne rime pas avec logique…

 


La règle

 


Les frais sont fiscalement déductibles lorsqu'ils sont faits en vue d'acquérir ou de conserver des revenus. Cette règle apparemment simple de l'article 49 du CIR92 a déjà donné lieu à des centaines de jugements et d'arrêts. Statuant tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre. Même notre plus haute juridiction, à savoir la Cour de cassation, a plusieurs fois changé de cap au cours des dernières années.

 


Jusqu'en 2015, cette Cour estimait qu'à côté de la règle générale selon laquelle, pour être fiscalement déductibles dans une société, les frais devaient avoir été faits ou supportés en vue d'acquérir ou de conserver des revenus, ces frais devaient aussi avoir un lien avec l'objet social de la société.

 


Un jugement a ainsi rejeté la déduction pour un appartement à la mer mis à disposition du dirigeant d'entreprise, parce que l'objet social de la société portait sur la fourniture de services informatiques et non sur la gestion de biens immobiliers.

 


En 2015, la Cour de cassation abandonne cette " théorie de la causalité ". Le lien avec l'objet social semble beaucoup moins important, et la Cour se focalise à nouveau davantage sur la question de savoir si la dépense a pour but de conserver ou d'acquérir des revenus (condition d'intentionnalité). En l'occurrence, des contribuables avaient effectué un placement qui avait généré peu de revenus, peut-être même une perte. Avec ce placement, les intéressés avaient toutefois converti un revenu imposable en un revenu sur lequel un crédit d'impôt pouvait être obtenu.

 

Les cours et tribunaux avaient rejeté la construction en affirmant que le placement ne s'inscrivait pas dans l'objet social de la société. La Cour de cassation rejette cependant ce raisonnement et confirme que les frais liés à l'achat de produits de placement sont bien déductibles, même si ces frais sont plus élevés que les revenus (intérêts) qui en découlent. Il ne peut être déduit du fait qu'une perte ait été faite que l'intention n'était pas d'acquérir des revenus.

 

2019


Apparemment, toutes les cours et tous les tribunaux n'avaient pas encore été convaincus par ce vent nouveau soufflé par la Cour de cassation.  Récemment, deux nouvelles affaires traitant d'un problème similaire ont en effet été soumises à la Cour.

 


Dans un premier cas, il s'agissait à nouveau d'une société qui avait acheté des obligations peu avant l'échéance. Le cours de ces obligations était par conséquent très élevé (notamment en raison de l'indemnité que l'investisseur doit payer à concurrence des intérêts déjà courus). Peu après l'échéance, les obligations ont été revendues. L'investisseur a certes perçu les intérêts, mais en fin de compte, le revenu de ces deux transactions ne s'avère pas très important. Le produit des intérêts est pratiquement intégralement neutralisé par les frais exposés. L'opération présente néanmoins un gros avantage fiscal : les intérêts entrent en effet en considération pour une réduction d'impôt. 


Une fois encore, la Cour estime que les frais supportés ont bien été faits en vue d'acquérir des revenus et ne peuvent dès lors être rejetés au motif qu'ils ne s'inscrivent pas dans l'objet social de la société.


NB. Ces montages QFIE ne sont plus possibles suite à une intervention du législateur.

 


Dans un deuxième arrêt, les choses se sont moins bien terminées pour le contribuable : un titulaire d'une profession libérale crée une société de management.  Il construit une habitation avec, au rez-de-chaussée, son cabinet et au-dessus trois appartements. Après la construction, il vend l'usufruit de l'immeuble à la société pour une durée de 20 ans. A l'issue de ces 20 ans, le nu-propriétaire récupérera la pleine propriété sans devoir payer d'indemnité à la société. Du côté des revenus, il y a les revenus locatifs (environ 30.000 euros par an) ; du côté des dépenses, l'amortissement de l'immeuble et les intérêts d'un emprunt contracté par la société pour acheter l'usufruit. 


L'avantage fiscal est simple : la société est assujettie à la TVA et peut récupérer la TVA. Les revenus de la société sont entièrement professionnels mais sont neutralisés par les dépenses. Pour un particulier, les revenus sont imposables à titre de revenus immobiliers et la déduction des frais est forfaitaire.


Le fisc constate qu'avec ces chiffres en main, la société n'a jamais eu comme perspective de réaliser un résultat positif. Comme nous l'avons dit, les revenus sont neutralisés par les amortissements mais aussi par toutes sortes d'autres frais (intérêts sur les emprunts, impôts locaux, réparations).

 


Dans son arrêt, la Cour de cassation confirme qu'il ne faut pas examiner l'objet social de la société. Il est toujours requis en revanche que les frais soient faits en vue d'acquérir ou de conserver des revenus... pour la société. L'objectif ne peut être de déduire des frais supportés dans le seul intérêt du gérant ou de l'actionnaire.

 

Nous touchons ainsi aussi à l'essence de cette jurisprudence. Il suffit certes que la société ait l'intention d'acquérir ou de conserver des revenus, mais il doit néanmoins s'agir de frais qu'elle a supportés dans son propre intérêt. 
Ces arrêts ne laissent dès lors toujours pas la voie libre à l'achat d'un appartement à la mer via une société.
 

 

 

 

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